Champagne Raymond Boulard
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Champagne Raymond Boulard:
aux frontières du sacre.
Une fois n'est pas coutume, la destination géographique
où je vous entraîne ne totalise sur l'échelle
des crus champenois qu'un modeste 83 %. Cette appréciation
toute mathématique "sanctionne" un petit vignoble voué
essentiellement au pinot meunier, celui de Cauroy-les-Hermonville,
au NO de Reims.
C'est pourtant là, aux frontières nord de la viticulture
hexagonale, que, des pressoirs, s'écoulent les moûts
qui donnent naissance aux champagnes Boulard. Mais la réalité
s'avère beaucoup plus complexe puisque la maison pratique
l'art du métissage et 7 crus apportent aujourd'hui leur
concours aux assemblages finals.
Raymond Boulard se dota en 1954 d'une carte de négociant
tout en étoffant son propre vignoble (1,5 ha en 1952),
ce qui lui permit d'arborer en parallèle la casquette
de récoltant-manipulant. En 1979, des raisons familiales
furent à l'origine d'une ponction drastique au sein du
domaine de 14 ha (propriétés et locations) ne
laissant aux exploitants actuels que 5 ha. La fibre RM ne cessa
cependant de vibrer si bien que, les 2 fils, Dominique et Francis,
ainsi que la fille, Hélène, refirent évoluer
les chiffres à la hausse. Ceux-ci affichent en cette
fin de siècle 10,25 ha : 3ha dans le massif de Saint-Thierry,
5 ha dans la partie occidentale de la Montagne de Reims et la
cerise sur le gâteau, 2 ha à Mailly.
Le pinot meunier cohabite avec 30 % de pinot noir et 20 % de
chardonnay. L'âge moyen des ceps atteint 25 ans alors
que certaines vieilles vignes doublent la mise, notamment à
la Neuville-aux-Larris. Cette localité constitue le second
bastion de la famille : elle y dispose de caves où s'
effectuent la prise de mousse et la lente évolution sur
lattes.
La tradition . oui, mais !
Le volet viticole met en évidence un respect de la tradition,
mais avec des ouvertures : amendements organiques et traitements "raisonnables".
Dans le cadre de la lutte contre l'érosion, des tests d'enherbement
furent réalisés . sans résultats concluants (vignes
épuisées par la concurrence). Les écorces répandues
entre les rangs de vignes, privilégient, quant à elles,
les feuillus apparemment plus proches de la structure des sarments.
La volonté de diversité s'affiche autant dans le choix
des porte-greffes que dans la vinification. La chaptalisation épargne
certaines cuvées, preuve que le potentiel alcoolique flirte
avec des degrés plus corrects que la moyenne exigée
en Champagne (9 degrés!). De même, la malolactique n'étend
pas systématiquement son emprise sur les vins tranquilles dans
le sillage des premières fermentations. Enfin, des fûts
(pièces et demi-muids) en partie neufs recoivent 15 % de la
production. La proportion de bois devrait, dans un avenir proche,
passer à 30 % et déboucher sur la création d'une
cuvée de repas qui compléterait une gamme déjà
riche en opportunités apéritives.
Pour tous les goûts.
Cuvée Tradition : 50 % Ch, 30 % PN et 20 % PM; 96 +
15 % 95 et 94. Habillé d'or clair, ce champagne libère
de fines bulles régulières, possède un nez floral
et fruité ( agrumes, fruits blancs) agrémenté
d'une pointe fumée et d'une touche de confiserie ; la bouche
longue et de caractère se distingue par un toucher crémeux
qui harmonise finesse, suavité et fraîcheur. Ni malo,
ni chaptalisation.
Cuvée Blanc de Blancs
: Chardonnay d'une moyenne de 32 ans de la Montagne de Reims et du
massif de Saint-Thierry ; 96 + 15 % de 95. L'or garde sa nuance claire,
mais les arômes changent de registre : fruits secs grillés,
beurre, fruits blancs et un soupçon d'infusion ; la mousse
copieuse rehausse l'opulence intrinsèque tandis que la finale
s'étire sur l'acidité au sein d'un cocktail marqué
par le duo pomme-poire. Malo pour une partie des cuvées, pas
de chaptalisation.
Cuvée Mailly-Champagne, Grand
Cru : 90 % PN, 10 % Ch; 96 + 10 % 95, 94. Robe bien dorée.
Nez timide qui finit par céder quelques fruits secs et une
poignée de grains de blé sur fond de fruits rouges.
Ceux-là mêmes qui témoignent de la domination
du pinot noir dans une structure longiligne aux contours fins et complexes.
La finale se révèle tonique et minérale.
Cuvée Réserve :
45 % PM, 35 % PN, 20 %Ch; 96+ 20 % 95,94. Avec ses bottes de 7 lieux,
cette bouteille nous emmène aux 4 coins du vignoble. Elle représente
50 % de la production et brille par sa souplesse, sa franchise, son
fruit agréable et sa mousse abondante.
Cuvée Année de la Comète,
Millésime 86 : 60 % Ch, 20 % PN, 20 % PM; dégorgé
en décembre 99, non dosé, pas de malo. La parure trahit
son âge. Les senteurs centrées sur le beurre profitent
de l'aération pour explorer des univers confits et miellés.
La bouche a gardé en héritage une plénitude et
une longueur que seuls les champagnes bien nés sont aptes à
restituer. Un régal.
Le rosé ( surtout vendange
96, 50 % PN, 50 % PM) recèle un fruit bien dégagé,
mais s'éclipse sur une trace d'amertume. Les 2 cuvées
de Coteaux Champenois ( P N de Mailly et PM Vieilles Vignes de 96)
évoluent dans un registre on ne peut plus "aérien".
Non chaptalisés, élevés 20 mois en fûts
de chêne, ils cultivent l'étonnant paradoxe d'éviter
l'écueil végétal qui régit le plus souvent
ce type de vins. Mais ils se cantonnent dans une réserve où
légèreté de robe et délicatesse de constitution,
pleinement revendiquées par la maison. Ce sont leurs maîtres-mots.
Et la question qui, à juste titre, taraude les esprits : l'utilité
et la finalité de ces bouteilles, même si un certain
vieillissement est envisageable ?
Premier contact.
Cette première approche m'incite à conserver une papille
attentive sur la production de ces viticulteurs, puisque si activité
de négoce il y a, elle ne dépasse pas 5 % des approvisionnements
en raisins. Les champagnes séduisent par leur personnalité
et s'expriment avec un naturel et une spontanéité qu'un
dosage raisonnable ( 7,8 gr/l) ne dénature pas. Si le pinot
meunier infléchit les assemblages dans le sens de l'avant-repas,
le Blanc de Blanc, le Mailly et surtout le 86 trouveront à
table une place de choix. Les certitudes issues d'une pratique ancestrale
(depuis 1792) conjuguées aux impulsions récentes laissent
à penser que chez Boulard la bulle confortera encore son éclat.
Signalons enfin une sympathique initiative : des étiquettes
disponibles en braille.
Texte : Yvan Tonneus. Article reproduit
avec l'aimable autorisation de Philippe Stuyck,
In Vino Véritas 04/00
Champagne Raymond Boulard 03 26 58 12
08
internet : champagne-boulard.fr