Dégustation du 07 janvier 2000
Les grands Champagnes
Quelques commentaires de contexte :
- Sauf mention contraire, les vins ne sont pas dégustés
à l'aveugle .
- Nombre de dégustateurs : une quinzaine.
- Cuvées haut de gamme, rares et prestigieuses. Pour des
raisons de coût, le choix est limité à 6 bouteilles.
- Notes : ST = Stephen Tanzer - RP = Robert Parker - WS = Wine Spectator
- BD = Bettanne/Desseauve
PP : Pascal Perez, DS : Didier Sanchez, LG : Laurent Gibet
Ordre de dégustation :
1- Salon 1988 : Note : PP17 - DS17 vers 17,5, LG17.
Note moyenne : 17 vers 17,2
- Prix : 700 F - ST92+ - BD : 4 verres - WS94
100% chardonnay (blanc de blancs). Vraisemblablement dégorgé
début 99.
Robe éclatante, brillante, d'un beau doré soutenu.
Une bulle très fine offre un beau dégagement dans
le verre.
Nez très subtil et complexe. Des notes mûres et intenses,
extrêmement agréables, fines et élégantes.
On décèle d'abord du fruit blanc (poire, pomme), de
la brioche, du grillé, du toasté, de la vanille, de
la mangue. L'aération complexifie le nez en libérant
des notes de fruits secs (noix, noisette, amande), de caramel, de
malt, de cacao.
La bouche est riche et grasse. Elle n'en reste pas moins savoureuse
et fraîche, ample et assez longue, d'une grande jeunesse.
La bulle est très discrète (c'est la plus discrète
de toutes les cuvées bues ce soir). On a ici plus affaire
à un champagne d'apéritif qu'à un champagne
de repas.
2- Moet et Chandon Dom Pérignon 90 : PP16,5,
DS16,5, LG16,5. Note moyenne : 16.5
- Prix : 784 F - ST93 - RP96 - BD : 5 verres
Pourtant réputée, cette cuvée est vraisemblablement
la moins rare de cette dégustation de prestige (environ 1
million de bouteilles produites).
Robe dorée et brillante. La bulle est moins fine. Le dégagement
gazeux plus désordonné, et plus rapide.
Nez complexe offrant de senteurs animales, de mirabelle, de beurre,
de levure, de fruits rouges (le pinot noir entre dans l'assemblage),
de champignon, de miel, de croûte de pain grillée.
La bouche reprend ces notes à son compte, soulignées
par la griotte. Elle est logiquement plus vineuse (notes de fruits
rouges), plus fougueuse (une agitation du verre atténue la
présence un peu trop marquée de la bulle), plus puissante
que la précédente. Longue, elle paraît toutefois
moins grasse, moins ronde, moins suave et moins complète
(malgré une grande richesse). On note une sensation tannique
très légère de pinot noir. Le verre vide, persistant
et subtil, évoque le noyau de cerise.
3- Taittinger Comtes de Champagne 90 : PP17,5,
DS16, LG17,5. Note moyenne : 17.
- Prix : 525 F - RP96 - ST95 - BD : 5 verres - WS90
100% chardonnay.
La robe et le dégagement gazeux ressemblent à ceux
du vin précédent.
Le nez est plus un nez de blanc de blancs. Il offre de très
jolies notes de brioche, de torréfaction, de miel, de raisin
sec, d'abricot, de crème bavaroise à l'abricot.
La bouche est longue, très bien équilibrée
et offre des vagues successives d'arômes. On retrouve les
notes décelées au nez, notamment l'abricot frais et
sec, complétées par des notes de malt, de praliné.
Sa minéralité notable, associée à des
notes crayeuses, confère au vin une sensation légèrement
plus sèche.
4- Cristal Roederer 90 : PP18 - DS17,5 vers 18,
LG17,5 vers 18. Note moyenne : 17,7 vers 18
- Prix : 990 F - RP97 - BD : 5 verres
Une cuvée spéculative, particulièrement difficile
à trouver aujourd'hui.
Belle robe brillante et dorée, pour une bulle fine. Le dégagement
gazeux est ici aussi plus nerveux, plus rapide que dans le cas de
Salon.
Le nez est vineux, avec des notes animales assez prononcées.
Il est puissant mais fin, franc, précis, complet et complexe.
Il allie des notes de café, et des notes presque évanescentes
de miel qui rappellent le pollen.
La bouche est assez virile mais reste subtile. Elle déploie
des notes de nougat à la pistache, de clafoutis (cerise crémeuse),
de fruits secs. Elle est fougueuse (un dégustateur décrit
cette sensation de surfer sur la bulle en milieu de bouche). Cette
cuvée semble la plus vive, la plus jeune de la dégustation.
On décèle un potentiel d'évolution notable
qui pourra encore apporter une plus-value à ce vin d'attaque.
5- Bollinger vieilles vignes françaises
1990 : PP18,5, DS18, LG17,5. Note moyenne : 18.
- Prix : 1050 F
100% pinot noir. Blanc de noirs, ce qui est rarissime en champagne.
Robe ambrée, presque rosée.
Le nez s'attarde sur des notes complexes un peu confites de compote
de pomme et de coing, de vanille, de miel, d'amande, de fruits exotiques.
Il s'agit peut-être là du vin le plus complexe. Le
pinot noir, qui intervient seule dans l'élaboration du vin,
apporte des notes de fruits rouges marquées.
La bouche est sans surprise vineuse et surtout très longue
(plus de 20 secondes). Elle signe un vin extra-terrestre, de repas.
On décèle des notes complémentaires maltées,
tourbeuses (on peut penser à un whisky d'Islay, ou encore
à un armagnac), de caramel, de café, de cerise à
l'eau de vie. De par son encépagement, c'est le vin le plus
étrange de la série, plus corsé et généreux
(et aussi plus alcoolisé) qu'élégant (on pense
ici à la discrétion précise de Salon 88). Sa
puissance est telle que c'est un champagne à part, incomparable.
6- Krug clos du Mesnil 89 : PP18,5 DS18,5, LG17,5.
Note moyenne : 18,2
- Prix : 1500 F - WS94
100% chardonnay. A la manière des petites parcelles bourguignonnes
d'un seul tenant, ce clos mythique produit moins de 10000 bouteilles
par an.
Robe brillante et dorée, bulle fine.
Le nez semble surmuri, il dévoile des notes sures de fruit
blet ainsi que des notes exotiques et de pruneau. Plus élégant
que le précédent, on y décèle une légère
volatile.
La bouche démontre elle aussi cette surmaturité, au
travers notamment de belles notes exotiques (mangue). Quintessence
de blanc de blancs, le vin est long et parfaitement équilibré.
Il paraît confituré, un peu vineux, malgré l'absence
de pinot noir. Un dégustateur pointe son côté
chardonnay passerillé.
Conclusion :
- Une dégustation de très haut niveau. Ces cuvées,
dont l'élaboration fait l'objet de soins attentifs, sont
éclatantes, équilibrées, complexes, et longues,
parfaitement dosées. C'est une satisfaction par rapport à
leur notoriété et à leur prix. On sait le rituel
de la fête associé au champagne. Il est ici à
son paroxysme. Seuls les prix sont en mesure de calmer l'euphorie
de l'oenophile.
- La hiérarchie est respectée : elles sont supérieures
aux bonnes cuvées (Billecart-Salmon, Jacquesson, Ellner,
É) et infiniment meilleures que la majorité des champagnes
verts, acides et au dosage approximatif proposant une effervescence
agressive peu engageante.
- On aurait pu proposer à la confrontation une poignée
de cuvées supplémentaires (Le Clos des Goisses de
Philiponnat en tête).
- On se méfie de l'interprétation de l'observation
des dégagements gazeux, qui dépendent de la tribologie
des verres.
- Les senteurs et les saveurs sont délicates, complexes et
fondues. Elles retiennent l'attention et rappellent la parfumerie.
Merci à Robert Lala, vigneron et enseignant au Diplôme
National d'Oenologie à Toulouse (analyse sensorielle) pour
sa discrimination olfactive.
- En bouche, les vins sont excellents, envoûtants, transcendants,
jamais agressifs. Les crachoirs se sont avérés inutiles.
- Pour une majorité de dégustateurs, les deux dernières
cuvées paraissent encore supérieures aux précédentes,
avec un supplément d'âme (en termes de longueur et
de puissance).
- Des vins prêts à boire, Cristal Roederer semblant
afficher la plus grande longévité possible.