La revue belge In Vino Véritas a crée une rubrique sur les accords cigares/vins.
Il s'agit de la rubrique :
 
 
Vino y Puro : Chroniques fumeuses
" Don Alejandro de Vegas Robaina "
 
Après le Punch " Royal Selection N° 11" où nous avions choisi :
le Cour Cheverny Le Mûr Mûr 1998 de la Gaudronnière de Christian Dorléans
le Rivesaltes Sardat Malet 1970 et le Pineau des Charentes de Giboin

Voici le Don Alejandro de Vegas Robaina

Pour rien au monde, je n'aurais raté cette deuxième séance cigare-vins. Avec plaisir, je retrouve le petit bar. Discret comme une souris, je m'installe cette fois plus près de la table aux sortilèges. Me voilà à l'affût.
Fin d'automne, premiers frimas, il y a quelque chose dans l'air.
"Chez Pipo" une langueur brun jaune s'installe que chaloupe une musique douce, chaude, imaginaire. Boîte de cigares, boîte à musique, chante Don Alejandro de Vegas Robaina. Mélopée double corona syncope le déhanchement subtil et rythmé de Pipo qui porte à chacun les vitoles attendues.
Le rituel commence. Bourreaux souriants, nous coupons la tête du géant. Bandits de grands chemins, nous lui chauffons le pied. Désir de savoir, cape soignée peut décevoir. L'hidalgo prend son temps, le rougeoiement de son extrémité ne le rend pas agressif mais presque bienveillant. Cigare que révélera ton âme ?
Les premières bouffées chauffent la bouche. Puis, le cuir souple, fin, glisse sur la langue et amène le cortège des épices, muscade, girofle, cumin. Le cacao grillé nous rappelle que les dieux ne sont pas loin. Ensuite vient le moka et un léger piquant de poivre gris souligné d'une petite amertume.
Je veux en savoir plus, découvrir ses secrets, jen ai les moyens ! Qu'on apporte le premier vin ! Le "Beau Ric", qui n'était pas là la fois précédente, se précipite sur la bouteille de Malbec argentin 1994 de chez Weinert. D'un geste précis, il arrache le bouchon et fait couler le liquide couleur sang dans les verres. Fruits rouges compotés de noirs caressent les narines, emplissent la bouche de leur saveur acide. Tanins souples et gras effleurent agréablement les muqueuses.
Amis de l'instant, le vin rejoint le cigare. L'un fume, l'autre coule. Solidaires, ils s'épaulent. Poivre, grillé, minéral, ils parlent tous deux. Le Cubain devient très tabac et désamorce la tendance séchante de l'Argentin. Mûres, myrtilles, cassis, révélation de l'âme noire du malbec que tresse un cacao très grillé style "habano". Une goutte encore pour le plaisir et l'intensité qui fait perler la rosée au front. Et un mot d'humus avant de se quitter.
Don Alejandro se consume, d'amour peut-être, pour la belle Marcianne. Veut-elle le noyer dans le vin qu'elle sert à son tour ?
Le grenat sombre coule dans les calices. Amarone della Valpolicella Corte Sant'Alda 1993 di Marinella Cameran scande, incantation d'alcool et d'aromates origan laurier. L'Italien met en avant sa puissance rouge fruit, sûr de lui. Ah, comedia ! Le second souffle du cigare s'accorde sans problème au Vénète, finalement court et peu tannique. La fumée s'enroule, tisse la persistance de l'amarone, dégage sa minéralité, exacerbe ses pâtes de fraises et de groseilles pour lui laisser en final sa signature épicée. Lopposition de départ, fructueuse, débouche sur le dessin complexe d'une carte au trésor d'un relief pertinent. La gorge huilée de délectation, la tablée se prépare pour l'hallali.
Le puro n'a pas encore craché toute sa tripe, il lui en reste un bon tiers. Monsieur Zevief, homme de ressources, sort l'imparable, son fatal vin doux naturel. Aujourd'hui, le Maury Mas Amiel 15 ans d'âge. Pas de détente, le suave s'installe dans les verres et déploie son arsenal de caramels au beurre, de torréfaction, de tomates sèches, de citrons confits, de bonbons au sureau. Tout miel, il appâte le cigare un peu époumoné. Balsamique, il sublime le crémeux et catalyse le moka. Animal, il tire des derniers instants le pain d'épices dissimulé derrière quelques pierres sèches. Sucre et sel cristallisent, pêche et abricot, dernier sursaut, élégance anisée d'une fin attendue. Quelques fleurs sèches annoncent le dernier souffle.
Don Alejandro s'éteint.
 
Quelques premières évidences "dégustatives"
Les tanins du vin s'accordent mal au havane, ils rendent l'association dure et souvent désagréable. Choisissez de préférence des vins plus vieux assouplis par l'âge.
Le gras du vin est également un facteur déterminant, il enrobe agréablement son caractère tanique et fait ressortir le crémeux du cigare.
L'alcool, vaporisé par la chaleur de la fumée, se charge des arômes que renferme le vin et renforce ceux du cigare. Le mélange fumée alcool fait ressortir très souvent le fruité du vin même si celui-ci est caché au départ.
Comment choisir le vin ? Une première piste pour les rouges, tanins souples ou enrobés, gras glycérolique en suffisance, charge alcoolique importante (pour un vin bien entendu, 13° à 14,5° et plus pour les VDN).
Selon les dégustations nous essaierons d'apporter un maximum d'informations sur le choix des vins.
 
Rappel des personnages pour ceux qui ont raté le premier épisode
Pipo (Philippe Stuyck, rédac-chef In Vino Veritas): c'est le patron du petit bar "chez Pipo". D'origine cubano + X, passionné de havanes et de vins, il est l'instigateur des rencontres fumeuses.
Marcianne (Marc Buellinckx, courtier en vins et non travelo): seul femme du club, personnalité forte. Elle a la bougeotte et part très souvent en voyage d'où elle rapporte des accords originaux.
Monsieur Zevief (Patrick Fiévez, journaliste vin et gastro): intellectuel un peu réactionnaire, il adore les VDN et ne jure que par eux. Il reste néanmoins un de nos plus chevronnés dégustateurs.
Le Beau Ric (Eric Boschmann, 1er sommelier de Belgique 1989): personnage difficile à cerner. Sa hardiesse et son impétuosité en font quelqu'un de très sympathique, quand on le connaît.

Orujo V.


 
Un gros macho à la rondeur bonhomme
Avec Cuaba, Trinidad et (bientôt) San Cristobal, le monopole cubain a lancé - tout d'abord uniquement en Espagne (1997) - la ligne Vegas Robaina : cinq vitoles portant le nom du plus célèbre "veguero" (producteur) de l'île, Alejandro Robaina, grand spécialiste des feuilles de capes mûries sous "tapados".
Double corona de la marque, le "Don Alejandro" en impose avec ses presque 20 centimètres de longueur. Mais si son aspect impressionne, on retrouve en bouche l'esprit général que cette nouvelle marque veut imposer dans l'univers des cigares cubains : une force tranquille, une souplesse et une rondeur bonhomme ainsi qu' une belle harmonie du début à la fin de sa combustion. De puissance moyenne, assez linéaire mais racé, quelques notes finement chocolatées : un double corona goûteux et initiatique... pour ceux qu'effraye ce type de Havane.
 
Patrick Fiévez
 
Voici nos élucubrations fumeuses du mois. Un club a été créé à cet effet : vinoypuro@skynet.be
Texte : Orujo V. et Patrick Fiévez .Article reproduit avec l'aimable autorisation de
Philippe Stuyck, In Vino Véritas
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Texte In Vino Veritas . Réalisation S. Poulart . Mise à jour 01.01.2000