I.V.V. nous propose un texte concernant les copeaux, dont on parle beaucoup en ce moment.
 
Des copeaux pour quelques kopecks.
La recherche du boisé est devenue une caractéristique essentielle dans la palette aromatique des vins. Caractéristique qui a pris une telle dimension qu'elle s'impose dans les critères de sélection du profane, du consommateur moyen et même du spécialiste, notamment dans le choix des vins de moyenne gamme. Aujourd'hui, la mention "élevé en fût de chêne" s'apparente à un label de qualité : l'acheteur face à diverses bouteilles dont il ignore le contenant, accordera d'avantage sa confiance à cette mention qu'à l'A.O.C. Nous savons le goût être des plus subjectifs : en voilà un exemple parfait.
La recherche des vins boisés est, avant toute notion d'équilibre des vins, une conséquence des plus socio-comportementales. La référence étant au nez de tous les Crus Classés, quel est l'attribut de comparaison? Non pas le fruit parce qu'il est commun à tous les vins mais bien l'élevage, l'élevage sous bois. Lorsque la vente directe à la propriété s'est développée, touristes et autochtones ont sillonné toutes les aires d'appellation pour remplir leur coffre de quelques flacons. Là, face à un propriétaire sympathique qui vous ouvre la porte du chai à barriques à la mesure d'un gardien du Louvre qui vous inviterait à visiter les sous-sols, on ne peut résister après avoir visité la cuverie ciment ou inox, à posséder quelques dits " rares flacons ", ceux-là même que le propriétaire allait garder pour lui mais pour lesquels il est prêt à consentir quelques efforts sur une caisse ou deux.
Ainsi sont nées deux phrases posthumes servant les deux sexes : pour les femmes, "il est absolument délicieux"(le propriétaire bien sûr !) et pour les hommes, "j'ai réussi à obtenir quelques bouteilles ".
Ainsi est né un comportement caractéristique de cette fin de siècle : avoir dans sa cave le petit vin qui vaut un grand et que nous sommes seuls à posséder (moi le premier, Mea Culpa).
Seulement, la typicité du Sauvignon, la pierre à fusil du Sancerre ou la noix des vins jaunes ne sont pas vocabulaire courant dans toutes les bouches et c'est bien encore ledit boisé, que tout un chacun peut reconnaître sans trop grande difficulté, qui est à l'affiche.
Le rôle de la barrique s'est déplacé : de son rôle originel de contenant préparateur, améliorant, il devient aromate. Comme le dit le professeur Guimberteau, "on ne met plus du vin dans le bois mais du bois dans le vin"*
Les acteurs économiques du monde vinicole en ont rapidement saisi l'intérêt.
Depuis les années quatre-vingts, c'est une véritable prolifération des chais à barriques que connaissent les différentes aires d'appellations. Les plus grands vins élèvent leurs seconds vins dorénavant en barriques. Les propriétés de gamme intermédiaire (40-60FF) décuplent leur parc de fûts neufs. Les propriétés plus modestes (gamme 20-40 FF) investissent dans l'élevage sous bois. Les premiers pour se garantir d'être toujours les premiers, les seconds pour être dans leur roue, les troisièmes parce que pour les uns c'est l'idée d'acquérir un certain titre de noblesse, pour les autres l'obligation de rester dans la course et pour l'ensemble rajouter 30 à 50 % sur le prix de la bouteille.
Sans oublier les négociants embouteilleurs - dotés de leurs armadas de commerciaux qui, de retour de campagne, rapportent que le bois dans le vin est un argument de vente inébranlable - qui regorgent de cuvées spéciales " élevé en fût ". Peut-être ont-ils trouvé encore de la place sur les étalages ? A moins qu'ils en aient fait!
Voilà une introduction un peu longue pour traiter des copeaux, mais il faut justement comprendre tout ce bouleversement socio-culturel pour comprendre les intérêts politico-economiques conséquents.
L'ennui dans cette course infernale reste le prix de la barrique : 3000 à 3500 FF le fût de bois français de presque 300 litres. Avec les pertes aux différents soutirages, lies, etc..., voilà de quoi faire frémir les banquiers!
Bien sûr, il y a la barrique américaine : un bois très marqué (voir l'article de mai 98), très utilisé en Espagne mais dont l'introduction en France, notamment, reste encore très hésitante parce qu'on ne peut maîtriser son empreinte sur le vin qui en fait une véritable décoction de planche.
Et puis la gestion matérielle, logistique et humaine de l'élevage en barrique en fait une tâche des plus fastidieuses : petits volumes, contrôles sanitaires, manutentions, risques.
Les australiens, américains du nord comme du sud ou les africains du sud, peut-être plus chimistes que fervents "Ausonnistes" ont trouvé la solution : le copeau.
Les copeaux...ils présentent des avantages inégalables.
Réaliser une barrique entraîne de nombreuses tâches lourdes et onéreuses :
- choix des bois en forêt, débits en merrains, séchage des bois, tris des merrains,...les copeaux peuvent provenir de toutes les parties de chêne, souvent des chutes non utilisées pour les futures douelles. Le séchage est souvent étuvage, les pertes inexistantes et surtout l'attente de séchage est évitée.
- Mise en forme du fût, risque de mauvaise étanchéité, brûlage du fût au brasero et manutention conséquente. Les copeaux sont après un rapide brûlage prêts à l'emploi.
- Dans le chai, la barrique est toujours exposée à des risques d'infection microbienne, demande de nombreux ouillages, une manutention de soutirage, lavage, méchage. Les copeaux ne demandent aucune attention particulière.
- La surface d'échange entre le bois et le vin étant disproportionnée entre barrique et copeaux voire particules, les différences de volume et de poids sont évidemment conséquentes.
Le bilan de la pauvre barrique est donc lourd.
Si on considère le fût comme un moyen d'apporter "vanillé",
"fumé", "grillé", une certaine stabilité colloïdale par l'oxydation relative (perméabilité du fut à l'air via les douelles) et une accentuation des précipitations, alors effectivement les copeaux associés à un microbulage qui consiste à installer une lente injection d'oxygène dans la cuve en quantité quasi identique à l'oxygène de l'air qui pénètre dans la barrique pendant l'élevage, peuvent apporter le même résultat.
Mais on ne considère ici qu'une vision analytique du problème. Et pour reprendre les mots du professeur G.Guimberteau de l'Institut d'oenologie de Bordeaux : "Ce qu'on dose a souvent moins d'importance que ce qu'on ne dose pas"*. La barrique n'a jamais été choisie pour aromatiser les vins mais bien pour préparer les vins à un long vieillissement avec équilibre et complexité.
Qu'en est-il aujourd'hui dans le monde et en Europe ?
Australie, Afrique du Sud, Etats-Unis, Amérique du Sud,... tous utilisent des copeaux en grande quantité de façon tout à fait légale. On peut noter dans la liste des traitements autorisés aux Etats-Unis ("Materials Authorized for treatments of wine and juice " ed. 4.1.97) entre Azote et oxygénation cette ligne : "Oak Chips or particles unchared and untreated to smooth wine". Curiosité : le brûlage (qui s'il est trop important, favorise l'apparition de benzopyrene cancérigène) est limité à la couleur brune du tabac blond de Virginie ! Voilà une limite bien aléatoire pour des gens si pointilleux sur l'analyse des vins européens!
En Europe tout est très diffèrent...enfin presque.
L'antériorité de l'utilisation des copeaux appartient à la vieille Europe puisqu'on trouve dans l'édition de 1892 du Féret des notions de "vins de copeaux" ou "vins de cormier" favorisant la clarification. Mais aujourd'hui, l'utilisation des copeaux en Europe est interdite. Elle est tout de même autorisée dans le cadre des expérimentations : dérogation accordée à tout vinificateur qui en fait la demande. Les volumes traités sont pour le moins à la mesure d'une expérimentation : 50 000 hectolitres! Expérimentations valables trois ans renouvelables sur simple demande !
Finalement tout le monde peut faire sa cuvée expérimentale pour percer de nouveaux marchés (sauf les français qui n'ont ce privilège que sur les vins de table, le traitement étant interdit sur les AOC).
La question à l'ordre du jour de nos chers fonctionnaires européens est donc : faut-il ou non autoriser l'utilisation des copeaux, granulats et particules de bois de chêne dans l'élevage des vins ?
Une réponse positive serait un soulagement pour le service des fraudes qui a peu de moyens pour prouver leur utilisation à part de se rendre sur place dans les chais et vérifier l'existence d'un parc à barriques.
Un soulagement pour beaucoup de vinificateurs notamment français qui sont lésés sur la plupart des marchés internationaux de vins modestes " boisés ".
Le professeur Guimberteau y est favorable moyennant la figuration de cette pratique sur l'étiquette : laisser aux vinificateurs le choix et les responsabilités, ne pas encore canaliser les pratiques par une législation. Le danger étant tout de même l'escalade vers l'uniformisation des vins.
Pour encourager l'utilisation des copeaux on pourrait se poser la question suivante : est-ce qu'au vu de la production croissante de barriques, l'utilisation de copeaux en remplacement des fûts ne serait pas une solution à la surexploitation des forêts ? La réponse est négative. En fait les chênaies sont en pleine expansion, et l'exploitation des forêts de chênes des pays de l'est est une nouvelle porte pour l'avenir. L'exploitation des chênes destinés à la tonnellerie représente environ 10% de la récolte, le bois d'oeuvre représente à lui tout seul 50% de l'exploitation totale.
Il est certain qu'au regard de ce décorticage des avantages et désavantages de la barrique ou du copeau, la réponse évidente paraît être celle du professeur Guimberteau.
Pourtant, les questions de fond ne semblent à aucun moment posées. L'avantage de tous les arguments précités ne sert qu'une cause purement économique. En aucun cas on ne parle de finesse, d'identité, en aucun cas on ne remet en cause l'utilisation du bois, du copeau ou de la barrique dans l'élevage des vins. En aucun cas on ne parle du goût du raisin. En aucun cas on ne remet en question ce qu'est le vin.
La seule constatation certaine est qu'on s'embarrasse à choisir des chênes, à les élever, à les débiter, à les sécher, à les trier, à les assembler, à les brûler...sans oublier le travail astreignant de l'élevage en barrique. Pour quel résultat? La quasi totalité des consommateurs ne fait pas la différence avec quelques " chips ".
Cependant il ne faut pas être de ces fatalistes qui s'abandonnent au "c'est comme ça, on y changera rien".
L'élevage en barrique apporte aux vins équilibre et complexité et une bonne préparation au vieillissement en bouteille, avant tout intérêt d'apport d'un quelconque goût de bois.
Même si une grande partie des consommateurs ne juge que ce dernier, le "goût" on l'a modelé. Il était subjectif, de toute façon, dès le départ et on n'a fait que le déplacer.
Alors ne capitulons pas devant la frénésie économique. Il faut communiquer davantage, informer le consommateur et partager cette culture.
Il faut oublier cette notion de boisé et se persuader que ce n'est pas l'important, revenir à l'essentiel. Celui-là même qui a décidé nos aînés à choisir la barrique comme contenant.
Evidemment, cette solution est beaucoup plus intellectuelle. Elle demande quelques efforts et de refuser au même titre la facilité, mais à ce prix peut être qu'un jour le " Boléro " de Ravel", "les Quatre saisons" de Vivaldi ou "Petite fleur" de Sydney Bechet ne seront plus la réponse évidente de tous les questionnaires de jeux télévisés !
* propos tenus lors de notre entretien et de son article dans la "l'Amateur de Bordeaux" 97-56.
 
Texte : Fabian Barnes. Article reproduit avec l'aimable autorisation de Philippe Stuyck, In Vino Véritas 09/98
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Texte In Vino Veritas . Réalisation S. Poulart . Mise à jour 01.01.2000