Vacqueras
La rançon de l'ambition

par Jacques Dupont

Quand, à la fin des années 80, les responsables de l'appellation défendaient auprès de l'Inao leur dossier pour passer de côtes-du-rhône-villages vacqueyras à cru vacqueyras, beaucoup de vignerons des communes alentour daubaient. Certains, plus méchants car plus proches, citaient quelque prétendu vieux dicton (certainement inventé par eux) : « L'eau de Gigondas est meilleure que le vin de Vacqueyras. » Propos exagéré, d'autant que Vacqueyras avait été autrefois célèbre pour sa source thermale fréquentée par Sarah Bernhardt. Nonobstant ces moqueries, il faut bien reconnaître qu'alors une dégustation de l'ensemble des rouges relevait quelque peu de la punition. Tanins secs, alcool, manque de fruit, déséquilibre : mis à part quelques domaines historiques, on ne se régalait guère. Le 15 août 1990, cependant, paraissait au Journal officiel le décret qui plaçait vacqueyras au même rang que châteauneuf-du-pape, gigondas, tavel, hermitage et autres saint-joseph : celui de cru, sommet de la hiérarchie des côtes-du-rhône.

Le plus difficile restait à faire : améliorer la qualité des vins. Pari non gagné d'avance car l'Institut national des appellations d'origine avait exigé en contrepartie que le nouveau cru baisse ses rendements de 10 % ; en même temps, une nouvelle délimitation de l'aire d'AOC lui ôtait 10 % de sa surface, éliminant impitoyablement toutes les parcelles indignes de cette distinction. Une exigence qui aurait mis le feu aux poudres quelques années plus tôt. Vers 1965, le vignoble était en effet essentiellement tourné vers la vente en vrac.

« Appellation locale »

Les producteurs portaient leurs raisins aux caves coopératives, ou, s'ils vinifiaient, vendaient au négociant « à la citerne ». Il est aisé d'imaginer que le volume comptait alors plus que la qualité. A cette époque, seules quatre familles de vignerons (contre cinquante-quatre aujourd'hui) commercialisaient leur production en bouteille. « Avant les années 90, 70 % étaient vendus par le négoce », commente Guy Ricard, du domaine du Couroulu. Mais les prix trop bas, l'arrivée de nouvelles générations plus ambitieuses, la réussite d'autres appellations plus dynamiques ont donné des ailes à ceux de Vacqueyras. En 1984, à l'unanimité des vignerons, le syndicat dépose auprès de l'Inao une demande de classement en « appellation locale », c'est-à-dire en cru. Elle mettra six ans pour aboutir. Entre-temps, la motivation a changé : « Il y avait une volonté d'y arriver, tout le monde a fait des efforts, par exemple, pour maîtriser les rendements : tout dépassement du rendement de base de 35 hectolitres à l'hectare entraîne le déclassement de l'ensemble de la récolte. Pour ceux qui produisaient 60 hectolitres avant, c'était une révolution. Mais tous ces efforts ont été récompensés », commente Monique Bouteiller, présidente du cru. Le prix du litre en vrac s'est en effet envolé : on produit moins mais mieux, et on gagne nettement plus d'argent, de quoi transformer les doutes en certitudes. La période des années 90 est également celle de l'explosion des vins du Sud, de plus en plus demandés par l'exportation, notamment aux Etats-Unis et en Europe du Nord. Vacqueyras profite de la vague, au même titre - mais tout de même pas au même prix - que châteauneuf-du-pape, et se retrouve dans le même compartiment que gigondas.

Une palette d'arômes locaux et orientaux

Cette très rapide progression n'est pas sans inquiéter les responsables de l'appellation. Monique Bouteiller trouve même que « ça se vend trop bien. En période de vaches grasses, il y a relâchement. On ne progresse plus collectivement comme autrefois, surtout en matière de promotion de l'appellation ». Bref, quand tout va bien, la solidarité s'effiloche et chacun a tendance à jouer perso. « C'est un village à la Pagnol, commente un vigneron profondément enraciné dans le passé de Vacqueyras. Tout se mêle : les histoires entre les arrière-grands-parents, la politique, les femmes. On a tous fait une embrouille dans sa vie et ici, ça ressort vite quand on veut ignorer son voisin. »

Le succès est-il monté à la tête des vignerons ? Il nous a semblé avoir rencontré souvent pire au cours de nos pérégrinations dans les vignobles. Certes, quelques vins ont pris des déviations bizarres, cherchant, au travers d'extraction trop forte et d'élevage trop marqué par la barrique neuve, à ressembler à ces vins au goût international uniformisé dont on ne sait s'ils proviennent de Bordeaux, Sydney ou Narbonne. Mais la maladie n'est ni rare ni incurable. Elle se soigne à l'intelligence. Quand le patient comprend que, dans un pays de terroir, il est préférable de mettre en avant davantage ce terroir que la technicité, il est déjà aux trois quarts guéri. Mais là n'est pas l'essentiel. Indiscutablement, les vins ont changé. La baisse des rendements, un meilleur travail dans les vignes, des vinifications plus soignées, une meilleure recherche de la bonne maturité du capricieux grenache ont transformé la « punition » de naguère en une très agréable balade au pays des arômes d'olive noire, de garrigue, de pruneau et de marché oriental .
 

Fiche signalétique
Surface : 1 230 ha.
Situation : dans le Vaucluse, au pied des Dentelles de Montmirail, rive gauche de la rivière Ouvèze, sur deux communes : Sarrians et Vacqueyras.
Sols : des galets roulés dans le bas posés sur de l'argile, des sables à mi-pente et plus haut des cailloux (éboulis) avec, en sous-sol, des conglomérats sablo-marneux. Cette diversité se retrouve dans les vins.
Cépages : grenache noir surtout, complété de syrah, mourvèdre, cinsault.

Millésimes :
99 : maturité hétérogène mais du fruit et de la rondeur. Des vins qui procurent beaucoup de plaisir et se boiront assez jeunes.
98 : très bon millésime qui a provoqué un emballement du marché, plutôt de garde.
97 : année difficile, pluies diluviennes, sécheresse de février à mai, orages violents pendant un été à soubresauts. Septembre très beau, mais pas de quoi faire un grand millésime.
96 : année humide, vins peu denses mais parfois élégants ; finalement, ils tiennent mieux la garde que prévu.
Bon usage : ne jamais les servir « chambrés » (un mot qui aurait dû disparaître du vocabulaire du vin avec l'arrivée du chauffage central), mais à 17 ou 18 degrés maxi, sinon l'alcool détruit l'harmonie. Parfait sur les girolles et cèpes, garenne rôti au thym, râble de chevreuil, magret de canard grillé. Les épices, l'ail cuit, la venaison ne lui font pas peur.
Remarque : comme partout en Rhône sud, on trouve un peu de rosé et surtout une toute petite production de blancs secs, à partir de clairette, grenache blanc, bourboulenc qui peuvent être complétés de marsanne, roussanne et viognier, qui ne sont pas sans rappeler les châteauneufs blancs (pour moins cher).


 
Jérôme Guimberteau, Clos de Caveau
« Mon père était à la SNCF, ma mère dans la confection, rien ne me destinait à faire du vin, sinon l'envie de travailler autrement, de ne pas embaucher avec la boule au ventre. » Jérôme Guimberteau a 31 ans, et c'est lui qu'Henri Bungener, docteur en psychologie et propriétaire, a choisi pour conduire ce domaine situé un peu à l'écart, en bout d'une vallée, entre les coteaux et les vignes. « On a une situation microclimatique et 20 hectares d'un seul tenant qui nous permettent de faire ce qu'on veut. On a défini ensemble un partenariat d'idées. J'avais envie de faire de la culture bio et, pour lui, c'était une condition de départ. » Il ne manquait plus que la réussite dans les vinifications et un peu de faire-savoir : le pari semble gagné

 
Guy Ricard, Domaine du Couroulu
Le Couroulu (courlis) est un oiseau au bec de bécasse, légèrement recourbé. « C'est de la famille des flamants roses, il pousse les cailloux avec son bec pour manger les vers. » Et des cailloux, sur le domaine de la famille Ricard, il y en a tellement que les couroulus s'y donnaient rendez-vous. Guy est le représentant de la quatrième génération. Diplômé d'oenologie, il est surtout passionné par la vigne et se dit mauvais commerçant. « Je suis à 5 h 30 dans le vignoble à soigner chaque cep, je fais de la bio depuis longtemps, mais sans certification, par passion pour le terroir. Le vin, je sais en parler mais pas le vendre, encore moins à l'étranger : j'ai peur de l'avion. »

 
Des racines et des vignes
Au XIXe siècle, Vacqueyras ne vivait pas que du vin. Comme à Gigondas, le cru voisin, on y faisait de l'olivier, du blé, du mûrier pour le ver à soie et de la garance, cette plante dont on extrayait cette teinture rouge sang qui transformait les soldats d'infanterie en cible évidente. Les généraux ont fini par admettre que ce n'était pas une bonne idée. La soie s'est industrialisée et l'olivier, après un mois de grand gel en 1956, a pratiquement disparu du quotidien paysan. Restait la vigne, la fidèle, qui résiste au temps comme elle accroche les souvenirs. Monique Bouteiller n'a jamais réussi à s'en séparer. Fille de vigneron, technicienne à la faculté, mariée à un chercheur du CNRS, elle a choisi de revenir au domaine il y a dix ans. Présidente du syndicat d'appellation, elle explique : « On a des racines qui sont profondes et nous dépassent. A la mort de mon père, je m'étais donné un an de réflexion, mais mon fils, qui faisait tout autre chose, m'a dit : tu es folle, je viens. Depuis deux ans, c'est lui qui vinifie. » 

 
50 vins dégustés à l'aveugle (sélection)
Millésime 96
14,5 - Arnoux et Fils
Le Vieux Clocher - 84190 Vacqueyras 04.90.65.84.18.
Seigneur de Lauris. Nez épicé, mûre, olive noire, bouche vive, tanins pointus, beaucoup de fruits mûrs, des saveurs multiples qui compensent un petit manque de chair. 78 F.
Spécialiste des millésimes mûrs, la maison Arnoux propose également un 93, 14,5, très traditionnel, un peu rugueux mais riche en saveurs. 120 F.

Millésime 97
15 - Guy Ricard
Domaine Le Couroulu La Pousterle - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.84.83.
Cuvée Classique. Nez riche et flatteur de myrtille, confiture de prune rouge, bouche ronde confirmant les arômes, bien dense, tanins serrés, beaucoup d'allure. 43 F.

Millésime 98
17 - Jérôme Guimberteau 
Domaine Clos de Caveau - Route de Montmirail - 89190 Vacqueyras - 04.90.65.85.33.
Cuvée Prestige. Petite pointe de vanille et de noyau au nez, sur un fond de tapenade et de fruits noirs, bouche fraîche, bien fruitée, tanins serrés et onctueux, finale épicée bien persistante. Un équilibre parfait. 60 F.
16 - Guy Ricard
Domaine Le Couroulu La Pousterle - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.84.83.
Vieilles Vignes. Nez très complexe, de fruits à l'eau-de-vie, tapenade, cannelle, bouche dense, matière onctueuse mais sans mollesse, vin plein, long, riche en saveurs. 58 F.
16 - Michel Maret
Domaine de la Charbonnière - Route de Courthézon - 84230 Châteauneuf-du-Pape - 04.90.83.74.59.
(Dégusté à part.) Une belle gamme de fruits rouges au nez, avec des dominantes pêche de vigne, bouche ronde, tanins doux et frais, des notes épicées qui ne dominent pas la sensation de fruit, belle longueur. 58 F.
14 - Domaine des Genêts 
Commercialisé par Delas Frères - 04.75.08.60.30.
Robe grenat foncé, nez de grenache bien mûr avec des notes prune cuite et gelée de groseille, bouche ronde, grasse, vanillée, fortement épicée. 54 F.

Millésime 99
17 - Monique Bouteiller - 
Château de Montmirail - Cours Stassart - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.86.72.
Cuvée des Deux Frères. Nez très marqué garrigue, thym, avec des notes de fruits frais (groseille). Bouche ronde, élégante, bien structurée, mais dans un équilibre parfait, finale épicée. 48 F.

16 - Serge Férigoule
Domaine Le Sang des Cailloux - Route de Vacqueyras - 84260 Sarrians - 04.90.65.88.64.
Cuvée de Lopy (vieilles vignes). 70 % grenache, 30 % syrah. Vanille et garrigue, tapenade, épices, complexe, bouche ample, dense, puissante, riche, beaucoup de volume sans sacrifier l'élégance. Vin de garde à ne pas toucher avant 2004. 90 F.

Aussi Cuvée Doucinello,
15, robe presque noire, très intense, nez épicé, cannelle, noisette, gras en bouche, plein, beaucoup de fruit et de notes de garrigue, moelleux, long. 58 F.

15,5 - M. et Ch. Vache
Domaine de la Monardière Les Grès - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.87.20.
Réserve des Deux Monardes. Nez de noyau et d'amande fraîche, petite touche de thym, bouche aux saveurs de pain grillé, d'épices. Comme parfois sur le terroir de Vacqueyras, ce vin paraît légèrement boisé alors qu'il n'a connu que la cuve, vanille, tanins ronds et gourmands. 52 F.

Egalement cuvée Vieilles Vignes,
15,5, très fermée lors de notre dégustation, mais d'une grande densité et qui devrait se révéler avec le temps. 75 F.

14,5 - EARL Roger Combe et Filles
Domaine de la Fourmone - Route de Bollène - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.86.05.
Sélection Maître de Chais. Du grand classique non égrappé, cuvé dix jours et pressé lentement au pressoir vertical. Nez de fruits noirs et de goudron chaud, tapenade, le gras du grenache bien mûr en bouche, puissant, dense, long. 48 F.

14 - La Font de Papier
Vignoble Chastan - Clos du Joncuas - 84190 Gigondas - 04.90.65.86.86.
L'origine du nom est sans doute la fontaine des papes. Culture biologique et vinification traditionnelle pour ce vin très épicé, gras, rond, riche en alcool, puissant, très enveloppant. 65 F.

14 - Les Domaines Bernard
Route de Sérignan - 84100 Orange - 04.90.11.86.86.
Les Domaniales. Notes fumées et grillées au nez, gelée de groseille, noix de muscade, gras, rond, très savoureux. Un style de vacqueyras un peu inhabituel, tout en souplesse. 59 F.

14 - Maison Ogier
Cave des papes - 84230 Châteauneuf-du-Pape - 04.90.39.32.32.
Nez fortement épicé avec des notes de garrigue, bouche bien enrobée, dense, puissante. Plus en matière qu'en élégance, bonne longueur. 57,50 F.

13,5 - SCEA M. & J. Dussere
Domaine de Montvac - Route de Vaison - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.85.51.
Cuvée Variation. Un nez de confiture et de fruits cuits, la bouche est très riche, grasse avec des saveurs de prune cuite. L'ensemble est très dense mais manque un peu de fraîcheur. 90 F.

Millésime 2000
15,5 - Domaine La Monardière
Les Grès - 84190 Vacqueyras - 04.90.65.87.20.
Réserve des Deux Monardes. Robe très foncée, nez d'olive noire, myrtille, mûre, bouche onctueuse, tanins encore vifs, mais un fruité remarquable. 55 F.

15 - Domaine Les Amouriers
Les Garrigues - 84260 Sarrians - 04.90.65.83.22.
Cuvée Signature. Nez de fruits noirs, tapenade, thym, bouche élégante, petits tanins vifs mais sans agressivité, bonne densité, bien équilibré. A boire dans trois ans. 50 F.

15 - Guy Daniel
La Bastide Saint-Vincent La Bégude - 84150 Violes - 04.90.70.94.13.
80 % de grenache, 15 % de syrah et 5 % de mourvèdre dans cette cuvée encore brute d'élevage quand nous l'avons dégustée, mais d'une belle finesse en bouche, bien équilibrée, marquée par les baies noires et la cerise, complexe et équilibrée. 41 F.

13,5 - Bernard Chamfort
Domaine de Verquière - 84110 Sablet - 04.90.46.90.11.
Nez fruité, cerise, griotte, bouche ronde, souple, légèrement épicée, déjà agréable bien que l'ensemble des tanins ne soient pas encore fondus. 42 F.


© Le Point - 07/09/2001 - N°1512 - Spécial vins 2001 - Page 144 - 2209 mots

 

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Texte Jacques Dupont  et réalisation Stéphane Poulart .
Mise à jour 10.09.2001