© G. Atget/Editing pour L'Express
1 600 hectares de vignoble avec pour toile de fond les dentelles de Montmirail. A Cairanne, on n'est pas vigneron. Comme Frédéric et François Alary (à g.), on naît vigneron.

Si vous n'aimez pas le vin, peut-être passerez-vous votre chemin! Vous auriez tort. Certes, Cairanne, c'est d'abord un océan de vignes, 1 600 hectares de collines, de coteaux, de terrasses et de plaine, avec pour toile de fond les dentelles de Montmirail, un feston de roches arachnéennes entre ciel et terre, et le Ventoux, le mont Olympe de la Provence, où la vue devient ivresse. Sur ces paysages de feu, les vestiges du temps sont rares: quelques ruines, des bouts de donjon et de remparts plantés sur le piton de safre où se dresse le vieux village. Mais la vraie vie est au pied de ce belvédère, dans le Cairanne viticole.

Une vie immuable, vouée au vin. Cette bourgade est restée dans son jus, presque immobile: on y compte 860 habitants, comme au XIXe siècle, 24 caves particulières, qui représentent 25% de la production, et une puissante cave coopérative. Ici, 9 personnes sur 10 vivent de la vigne, qui est, d'abord, affaire de tradition. Si cairanne est devenu AOC côtes-du-rhône, dès 1936, et côtes-du-rhône villages en 1953, il y a belle lurette qu'on cultive le terroir.

«On veut des vins à reboire, pas à déguster»

On n'est pas vigneron, on naît vigneron depuis des générations. Prenez les frères Alary, Frédéric (40 ans) et François (39 ans), les deux admirables producteurs de l'Oratoire Saint-Martin: comment n'aimeraient-ils pas leur art, ces deux-là qui ont derrière eux un héritage de trois siècles? Ils travaillent 25 hectares, possèdent 5 hectares de vieilles vignes (des cépages de grenache et de mourvèdre de 96 ans) et 80% de leurs terrains sont à l'est, exposés au soleil couchant. Ces deux-là, comme leur ami Marcel Richaud et quelques autres, ont choisi de travailler dans le plus grand respect de leur terroir. Ils ne forcent pas sur le rendement à l'hectare (de 18 à 36 hectos, bien moins que les 42 maximum de l'appellation). Comme tous les cairannes, leurs vins sont des assemblages (grenache, mourvèdre, syrah, marsanne, roussanne), mais ils ont un fort penchant pour le mourvèdre (de 30 à 50% dans leurs vins) qui exprime mieux le terroir que la syrah. Le terroir, c'est leur passion. Ils le bichonnent, soignent le paysage, refont des talus, plantent des cyprès ou des oliviers pour que la nature serve d'écrin à leur vignoble. «On peut penser que le vin, c'est de l'art, confient les frères Alary; il faut donc de la beauté autour.» La beauté est, en tout cas, dans leurs vins, qu'ils ne filtrent plus, ne collent plus et dans lesquels ils ne mettent que très peu de soufre. Leur signature, c'est l'élégance et la finesse: «On veut des vins à reboire, disent-ils, pas à déguster.»

C'est le même langage que tient Marcel Richaud, 47 ans, lui aussi vigneron de lignée. Cet amoureux fou du vin a arrêté ses études à 17 ans pour se consacrer à la vigne. Ses 30 hectares sont disséminés sur des sols très variés: argile blanche, argile rouge, argile bleue, cailloux... Cet homme généreux revendique haut et fort ce slogan: «Moins on intervient sur la vigne, mieux c'est. Il ne faut pas la rendre paresseuse avec la chimie. Je crois que nous devons réapprendre le travail des anciens pour comprendre comment encore améliorer notre vin.»

Ses différentes cuvées ne trahissent pas ses préceptes et ne décevront pas le voyageur. Qu'importent les vieilles pierres quand des vignerons vous offrent une telle culture. Alors, même si vous n'êtes ni amateur ni spécialiste, faites, malgré tout, étape à Cairanne. Les Alary, Richaud et les autres vous apporteront la preuve que le vin est d'abord une civilisation.